Proust et l’aventure intérieure

Aller en bas
Message n° 1

Proust et l’aventure intérieure  EmptyProust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Ven 3 Avr 2020 - 15:48


Ce confinement laisse le temps à la lecture et la réflexion. J’ai entrepris de relire Proust et d’en faire une analyse.
La recherche du temps perdu est la seule œuvre littéraire de Proust, elle aura occupé toute sa vie

En 1919 le roman est salué par le prix Goncourt, cette reconnaissance de la valeur de l’œuvre proustienne est rapide, car il semble qu’entre 1913 et 1919 se soit créé un lectorat. Néanmoins l’attribution du prix Goncourt crée une polémique car Proust l’emporte sur Dorgelès (Les Croix de bois), et comme on sort de la guerre, le fait que soit consacré un roman de nature « aristocratique », une littérature passéiste voire décadente face à l’œuvre de Dorgelès, a suscité une véritable controverse.

Jusqu’en 1970 l’oeuvre de Proust a été assimilée soit excessivement classique puisque l’analyse psychologique prend une part importante, soit trop attachée au symbolisme. Dans tous les cas une œuvre compliquée, trop sophistiquée. Une des phrases qui accompagne un refus d’édition pour Du côté de chez Swann consiste à se demander comment un auteur pouvait imaginer intéressant la scène de son coucher au point de la décrire pendant des dizaines de lignes.  

C’est l’image qu’en donne encore Céline dans Voyage « Proust, mi-revenant lui-même, s’est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l’infini, la diluante futilité des rites et démarches qui s’entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d’improbables Cythères ».  Il reviendra sur sa position dans les années 50. Cette phrase résume assez bien le regard porté sur l’oeuvre de Proust, en particulier la substance de la polémique qui a salué paradoxalement la célébration des jeunes filles en fleurs.

Cette œuvre romanesque pouvait étonner bien sûr, il fallait qu’elle crée son public. Mais il y a des accointances sensibles entre le récit poétique et cette aventure intérieure. Ce récit s’affranchit des contraintes réalistes, favorise des moments d’analyses, de réflexions, de méditations, en particulier sur le temps, favorise aussi des moments de descriptions qui ne sont pas intéressants  sur le plan dramatique mais intéressants sur le plan philosophique.

La description chez  Proust n’a jamais de valeur pittoresque. Elle est toujours mise en rapport avec une réflexion, une méditation sur ce qu’est regarder, ce qu’est voir, ce qu’est sentir, la relation entre la sensation et la vision du monde, l’intellection du monde qui a lieu dans l’individu.

Le temps est très concentré car les anthologies nous montrent que certains instants clés, par exemple l’épisode de la madeleine, sont des instants d’extase magique. Il y a une dilatation du texte à propos d’un moment très particulier et qui a une densité très particulière, même si la signification n’est pas immédiatement intelligible. En dehors de ces instants magiques, extatiques, le temps s’étire, c’est un temps vide, c’est un temps de l’ennui, c’est l’attente d’une révélation, la révélation arrivant dans le temps retrouvé.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 2

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Sam 4 Avr 2020 - 13:51


Ce rythme là est assez proche du récit poétique. On attend que quelque chose se produise. Ce quelque chose qui se produit chez Proust c’est la réminiscence par la voie de la sensation, et cette réminiscence est ensuite explorée par le narrateur pour analyser un rapport au temps et surtout en rapport à l’éternité. Toute cette aventure intérieure repose sur la mémoire, le constituant de l’œuvre, et cette mémoire est toujours la mémoire subjective, c’est-à-dire la mémoire du sujet et de la perception qu’a le sujet du temps qui vit, par opposition au temps mécanique, mesurable, au temps de l’horloge. 

Proust récupère la conception qu’a Bergson de la durée intérieure d’un temps intérieur. C’est le vécu du temps par le sujet qui est l’objet de l’exploration proustienne. C’est le constituant majeur de l’oeuvre. Par ailleurs le roman se présente comme une sorte de sommes synthétiques puisqu’on peut le lire à différents niveaux, par différentes entrées. 

On peut lire le roman comme un roman d’éducation parce qu’il s’agit d’une éducation sentimentale, toute l’analyse de l’amour, des intermittences du cœur dans Les jeunes filles en fleurs. On peut lire aussi le roman comme un livre d’éducation morale, comme le récit d’une vocation artistique qui se découvre dans le Temps retrouvé. 

Finalement c’est le récit d’un écrivain en devenir, de la vie d’un écrivain en devenir mais qui ne se sait en devenir qu’une fois que lui a été révélé qu’il doit impérativement écrire. Tant que le temps n’est pas retrouvé, c’est-à-dire que le choc du temps passé, dans le bal des Guermantes à la fin du Temps retrouvé, ne lui signifie pas l’urgence absolue qu’il y a à faire œuvre pour échapper au temps, il est un  mondain, il est un dandy, il est exactement ce que l’on a reproché à Proust au temps du Goncourt. 

Donc on peut lire aussi ce livre comme un roman de la mondanité, et sur la mondanité. En particulier le volume « Le côté de Guermantes » peut-être lu en parallèle avec un roman comme « Le rouge et le noir » de Stendhal. C’est vraiment la chronique d’une mutation sociale, de la chute de l’aristocratie, de la montée de la bourgeoisie, du rapport de rivalité et d’exclusion entre les deux milieux. 

On peut le lire bien sûr comme un roman d’analyse psychologique. De multiples entrées sont possibles. Il n’en reste pas moins qu’une fois le livre achevé, une fois le temps retrouvé, la clé de l’œuvre, l’œuvre se définit quand même comme le récit d’une vocation artistique.

C’est ce que Proust entend présenter et entend exposer. Tout cela est très classique. Mais il y a quelque chose de très nouveau sous la plume de Proust, c’est l’importance qu’il accorde à la sexualité dans la connaissance de soi et dans la relation à autrui, et l’importance qu’il accorde aussi à la polarité du féminin et du masculin. Par rapport au roman d’analyse psychologique que l’on connaît, auquel on peut faire référence dans les années autour desquelles Proust écrit, l’œuvre est d’une modernité radicale.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 3

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Lun 6 Avr 2020 - 12:13


Il écrit à Jacques Rivière en septembre 1919 à propos de ce qu’il appelle la psychologie dans l’espace « Vous dirai-je que je ne crois même pas l’intelligence première en nous, je pose avant elle l’inconscient qu’elle est destinée à clarifier ». 

Le narrateur insiste assez régulièrement dans la Recherche sur une idée que le moi de l’écrivain, du peintre ou du compositeur, le moi de l’artiste n’a rien à voir avec le moi social fréquentable, celui que l’on peut croiser dans la rue et, en ce qui concerne Proust, dans un salon. Ce sera une idée très importante pour la critique littéraire en particulier.

Il écrit dans Contre Sainte-Beuve « Un livre ou une peinture est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vies. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c’est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous que nous pouvons y parvenir ».

 C’est toute une méditation esthétique, philosophique, qui vise en dernier recours à atteindre ce moi profond au fond de nous-mêmes qui sera en plus un moi achronique, un moi délivré du temps, délivré des contingences du temps et de l’âme. 

L’ampleur de l’œuvre de Proust est considérable et peut rappeler l’ambition totalisante du roman du XIXe siècle, en particulier la métaphore de la cathédrale qu’il utilise à la fin du Temps retrouvé, précisément lorsque le narrateur a la révélation de la nécessité absolue et urgente, étant donné l’approche de la mort qu’il sent, décrire son œuvre. Il réfléchit à la façon dont il va organiser et son temps et son énergie. 

Il envisage l’aide et l’assistance de Françoise qui est la gouvernante présente dans l’ensemble de La Recherche et il dit (destiné à Françoise et aux lecteurs) « Je bâtirai mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe en épinglant ici et là un feuillet supplémentaire ». 

Ce qui paraît important dans cette image de la cathédrale et de la robe, est que Proust ne met aucun orgueil dans cette image de la cathédrale, ce qui est important c’est l’idée du bâti. Il insiste sur la confection de l’œuvre est sur la construction de l’œuvre.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 4

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Mer 8 Avr 2020 - 13:09


Dans la correspondance avec Jacques Rivière le projet architectonique de l’œuvre de Proust est très sensible. Il sait toujours exactement à quel moment il choisira de placer tel ou tel morceau. Il travaille à différents morceaux en même temps, mais en ayant clairement dans la tête le plan final et définitif de ce qui deviendra La Recherche. 

Cette œuvre est consacrée à la mémoire et à une quête, la recherche du temps perdu. La mémoire c’est à la fois ce que nous devons retrouver et surtout l’opération psychique par laquelle nous allons retrouver ce temps perdu.

La mémoire chez Proust n’est jamais un conservatoire de souvenirs qui surgiraient de façon particulière. C’est un laboratoire. La mémoire est toujours envisagée comme une opération de l’esprit totalement mystérieuse. C’est un laboratoire qui consacrerait l’identité profonde d’un sujet qui lui échapperait en partie à lui-même. 

Proust reprend à son compte une opposition qui est déposée par Bergson entre deux types de mémoire.

La première mémoire est, chez Bergson, la mémoire de répétition de l’habitude associée à l’action mécanique, machinale, qui nous permet de vivre. Une deuxième mémoire est opposée à la première, c’est la mémoire vive, une mémoire qui surgit et qui jaillit à  un moment incongru, imprévu et inopiné, qui est d’autant plus efficace qu’on ne l’attendait pas. Le souvenir a d’autant plus de puissance que nous avons oublié qu’il s’agissait d’un souvenir. 

 Il y a chez Bergson l’idée que les souvenirs peuvent à la fois être conscients, en particulier les souvenirs qui sont ancrés sur une sensation, filtrés par la conscience et analysés et, de ce fait même, ont perdu de la fraîcheur, alors que d’autres souvenirs ont été enregistrés de façon préconscientes. L’individu ne sait pas qu’il se souvient, mais précisément le phénomène de la réminiscence restitue le souvenir, qui ne se sait pas souvenir, dans sa fraîcheur spontanée et originelle. 

 L’expérience mémorielle que célèbre Proust, celle qui donne lieu à des moments d’extase, où on échappe au temps, c’est la deuxième mémoire, celle qui permet de faire l’expérience de ce surgissement intempestif, imprévu qui nous livre notre passé. Il nous le livre parce qu’il nous a déjà été doné.

C’est ce paradoxe qu’il faut comprendre. Proust insiste très régulièrement sur l’importance de l’oubli dans la mémoire. Cet oubli ne veut pas dire que le souvenir a été tué, mais qu’il n’est pas parvenu à la conscience, qu’il a été conservé intact chez le sujet. C’est une analogie de situation, de perception qui nous rend le passé et qui nous délivre du temps. Il y a dans le Temps retrouvé nombreuses pages sur le souvenir : l’episode de la madeleine et celui des pavés de Venise.

 Il y a cette idée fondamentale que je ne dois surtout pas chercher à retrouver le passé, c’est le meilleur moyen de le rater. C’est fondamental. L’effort, l’effort de l’intelligence c’est l’échec assuré. Donc il faut se laisser abandonner au hasard de ce qui est donné là c’est du bonheur.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 5

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Sam 11 Avr 2020 - 13:40


L’œuvre de Proust c’est aussi une œuvre sur le bonheur car le vocabulaire de la joie, de la félicité,  du bonheur disent cet affranchissement du sujet par la mémoire sensorielle, cet affranchissement du sujet hors du temps, c’est-à-dire hors du tragique. 

Nous sommes affranchis de la mort, de la contingence et de l’angoisse de la fin. Ce qui nous affranchit  du temps c’est la sensation, la coïncidence entre une sensation appartenant au passé, la madeleine ou le pavé, et une sensation appartenant au présent. 

C’est-à-dire que l’expérience de la mémoire sensorielle c’est l’expérience d’une simultanéité entre deux états de conscience, deux perceptions, que normalement sur l’axe du temps tout sépare, puisque, entre-temps, nous avons vieilli et que la magie du rapprochement, de l’analogie, ce laps de temps est aboli. 

La durée est faite d’instants qui se succèdent. Deux instants coïncident et la félicité, la joie ou le bonheur viennent de la réaction à cette coïncidence qui fait l’expérience d’une simultanéité entre le passé et le présent et qui annule cette impression de durée, de vieillissement, de perdition.

 L’indifférence à la mort, la délivrance du tragique vient de là. C’est l’expérience d’une coïncidence, d’une similitude ou d’une simultanéité qui affranchit de l’écoulement linéaire du temps qui est nécessairement tragique. 

Le vécu subjectif par le sujet, sa durée intérieure est une durée continue, la vie, comme elle peut être pensée par Bergson, en même temps elle est syncopée par des instants magiques. Cette durée est continue, même si elle a une élasticité variable et syncopée par des instants magiques qui délivrent de la durée qui nous acheminent vers la mort.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 6

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Ven 17 Avr 2020 - 15:40


Cette durée intérieure Proust l’exprime à travers une métaphore littéraire : « Notre vie intérieure est comme une phrase musicale entamée dès le premier réveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée par des points ». 

Cette intuition de la vie intérieure, cette temporalité de la vie intérieure nourrit simultanément les écritures du flux intérieur ou du monologue intérieur, cette idée que la vie intérieure est comme une phrase qui continue depuis le premier réveil de la conscience. 

Proust ne comprend pas l’expérience de la madeleine, il ne comprend pas d’où lui vient cette joie qui n’a rien à voir avec le plaisir sensoriel du goût et de la saveur de la madeleine trempée dans le thé, ce serait trop simple. Il cherche mais ne trouve pas. 

Il ne trouvera que dans le Temps retrouvé. Il lui faut la durée de toute cette vie pour trouver qu’il s’agissait d’un apprentissage et d’une initiation métaphysique puisqu’il s’agissait de s’affranchir du temps.

 Tout ce que raconte le narrateur entre temps, des histoires de mondanités, des histoires sentimentales, qui n’ont rien à voir a priori avec ce projet métaphysique, c’est en fait ce qui nourrit l’œuvre. L’œuvre a besoin de cet ajournement. Proust ne cesse d’ajourner l’action de son œuvre puisqu’il a une vie de dandy mondain, il n’écrit pas.  

Il n’écrira qu’après le choc du Temps retrouvé, devant cette évidence imprescriptible qu’il faut qu’il se mette à l’écriture de son œuvre. C’est l’histoire donc d’un apprentissage qui est en permanence ajourné pour des raisons sociales, mondaines, sentimentales, c’est-à-dire les raisons de la vie. Ce moi social sait qu’il n’est pas le moi profond qui sera le moi de la littérature et qui ensuite dictera sa loi. 

 La vie sociale est toute entière récupérée par le projet de l’œuvre, elle entre dans tout un déchiffrement de ce qu’il y avait à comprendre dans ce que l’on vivait au moment où on le vivait et qui nous échappait. Cela explique aussi la structure de l’œuvre, car il y a un trajet linéaire. 

Comme dans ton récit d’apprentissage, la recherche du temps perdu s’achève par le temps retrouvé. Le programme est parfaitement annoncé.

 Il y a une dimension linéaire et un trajet en boucle ouverte, c’est-à-dire que l’œuvre revient sur des expériences intérieures, des expériences qui n’avaient pas été comprises au moment où elles avaient été faites, et qui seront comprises au moment de la révélation finale de la fonction métaphysique de l’art. 
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 7

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Mer 22 Avr 2020 - 15:25


C’est le fait d’entrer dans l’art qui va donner sens à toute l’expérience vécue.

Cette mémoire est davantage gustative (l’expérience de la madeleine), soit aussi une expérience tactile (heurter un pavé et Venise ressurgit) soit une sensation olfactive, plutôt qu’une sensation visuelle. Il y a une sorte de polyphonie sensorielle chez Proust qui défavorise la sensation visuelle, la vue étant presque trop cérébrale.

Là où le corps est le plus immédiatement convoqué, viscéralement et instinctivement, c’est sans doute dans les expériences olfactives et gustatives. Le corps comme substrat de la sensation est omniprésent dans la Recherche, et là aussi on trouve des échos à la philosophie de Bergson, en particulier aux analyses que fait Bergson dans un livre paru en 1896 « Matière et mémoire ».

Bergson écrit : « Percevoir finit par n’être plus qu’une occasion de se souvenir. Nos sensations sont sans doute imprégnées de souvenirs, et inversement un souvenir ne redevient présent qu’en empruntant le corps de quelques perceptions où il s’insère.»

Donc on ne se souvient bien que de ce que l’on a senti, et en même temps on sent parce qu’on se souvient. Bergson insiste sur un trajet à double vectorisation : percevoir finit par n’être plus qu’une occasion de se souvenir.

On ne perçoit qu’une chose que l’on a déjà perçue et on ne se souvient que des sensations. Cette analyse est honorée et reprise par Proust qui insiste toujours sur le fait que la sensation est placée au confluent de la conscience et de la matière.

Dans le « Contre Sainte-Beuve » il écrit : « Chaque heure de notre vie aussitôt morte s’incarne et se cache en quelqu’objet matériel ». Dans Le temps retrouvé  « Toute impression est double, à demi engainée dans l’objet, prolongée en nous-même par une autre moitié »

Cette démarcation entre le sujet et l’objet n’est pas une démarcation fixe. La sensation opère le passage entre le sujet et l’objet, la matière et la conscience.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 8

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Ven 24 Avr 2020 - 15:58


Il y a une tendance à l’âme primitive chez Proust (Lévy Bruhl) en particulier dans l’épisode de la madeleine Du côté de chez Swann. 

« Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ce que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdus en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles, tressaillent,  nous appellent et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par nous elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous. Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer. »

La sensation est au confluent de la matière et de la conscience. Il arrive que l’on ne sache pas répondre à une sollicitation sensorielle. Il arrive que l’on soit sur la voie de la réminiscence sensorielle telle qu’elle peut être vécue dans l’épisode de la madeleine ou les pavés de Venise, mais que cela n’aboutisse pas.

Il y a dans « A  l’ombre des jeunes filles en fleurs » un récit de l’échec de la mémoire qui est exprimé dans les termes de l’âme primitive. Par exemple dans la description des trois arbres où il inverse la perspective.

C’est une expérience dysphorique dans la Recherche qui fait pendant aux expériences de félicité, de bonheur ou de joie.

Il arrive que la mémoire ne nous restitue pas ce qu’elle est chargée de nous rendre et ne nous délivre pas du temps, ne nous affranchisse pas du temps.

L’épisode de ces trois arbres est une exception par rapport à la règle générale de la mémoire sensorielle euphorique proustienne.

Ce qui est important c’est qu’une sensation cela n’existe pas c’est Proust. Il y a toujours deux sensations. Une sensation doit être prolongée par une seconde pour que le sujet puisse éprouver son unité, et une unité essentielle qui le délivre du temps.

Tout fonctionne en terme de rapport, d’analogie, de comparaison. La métaphore est consubstantielle au projet proustien. Il faut toujours deux sensations. Un souvenir rencontre une sensation, une sensation rencontre un souvenir. Et c’est le trajet dans la psyché de cette réminiscence qui délivre du temps.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 9

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Lun 11 Mai 2020 - 11:22


La perception a une importance stratégique à condition qu’elle soit remémorée. La mémoire chez Proust est ce qui rassemble l’être. Un être qui ne se rappelle pas ne peut pas dire « je ». Cette analyse de la mémoire est fondamentale.

Les sensations privilégiées sont les sensations les plus immédiates, les plus instinctives. L’œuvre a une envergure intellectuelle majeure. Ce déchiffrement des signes du réel, c’est-à-dire la dimension herméneutique, interprétative de l’œuvre qui s’envisage comme une œuvre, Proust l’appelle déchiffrage. L’apprentissage mène à la révélation de la nécessité de déchiffrage.

Cette ambition intellectuelle est héritée du programme scientifique du XIXe siècle. Proust établit en permanence des rapports entre la perception, les souvenirs, mais il établit toujours aussi des rapports entre les choses sensibles et la pensée, entre ce qui est de l’ordre du sensible et ce qui est de l’ordre de l’intelligible. La donnée immédiate de la conscience, pour reprendre le titre de Bergson, l’intéresse pour être clarifiée par la pensée et par l’intelligence.

Ce mouvement intellectuel vers l’intelligibilité d’une chose, la recherche qui anime le narrateur d’une continuité, d’une unité, d’une signification à trouver à sa vie et au temps qu’il aurait perdu pour mieux le retrouver, cette recherche-là marque l’héritage de la posture scientifique du roman du XIXe siècle. Il y a un effort dans l’œuvre pour maîtriser le réalisme.

Le réel est touffu, très complexe, mais à partir des données immédiates du réel l’effort d’intelligence pour comprendre ce qui m’est révélé est très important. Entre autres il y a une tendance assez marquée dans la Recherche pour établir des lois, établir une typologie à partir d’expériences singulières dans un esprit scientifique.

Nathalie Sarraute qui se demande comment elle a pu écrire après Proust fait un peu la même chose. Elle part d’une réalité touffue et inextricable pour essayer de tirer une intelligibilité de cette réalité c’est-à-dire d’établir des types de vérité. Il y a la même vocation interprétative, une vocation d’éclaircir ce qui est.

Les appréciations, les appréhensions des visages sont toujours médiatisées ou médiées par l’œuvre d’art. Swann, lorsqu’il tombe amoureux d’Odette de Crécy, ou le narrateur lorsqu’il décrit une fille de cuisine, ce sont deux personnages, deux érudits, deux esthètes. Tout le monde ne voit pas un Botticelli dans un visage.

Swann lorsqu’il voit Odette de Crécy tombe amoureux, d’où le malentendu initial. Il tombe amoureux d’une femme qui n’était pas son genre, dira-t-il à la fin d’un amour de Swann, tombe amoureux de la Zephora de Botticelli, et le narrateur, décrivant une fille de cuisine qui est enceinte, décrit la figure de charité dans un tableau de Giotto.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 10

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Invité...Jeu 14 Mai 2020 - 14:28


La médiation de l’art va permettre de tirer la réalité vers un type, et entre dans cette dynamique de type scientifique et herméneutique. Lorsqu’il décrit le visage d’Odette de Crécy il y a une tendance à la typologie. A partir d’un visage singulier et une émotion singulière, Swann est amoureux, il faut dresser, à partir du portrait, un type intelligible est clair.

Sans doute y a-t-il déjà chez Proust l’intuition que l’on ne perçoit jamais naïvement quoi que ce soit et que la perception est filtrée par un imaginaire personnel, ou en l’occurrence un musée imaginaire personnel puisque ce sont Botticelli et Giotto qui sont cités comme référent derrière ces portraits.

On retrouve aussi ce phénomène, c’est-à-dire cette idée que je ne perçois, donc je ne me rappelle jamais rien naïvement. Je perçois à travers une représentation qui elle-même est déjà culturelle.

Il y a une même tendance, lorsqu’il décrit une scène, à révéler à la fin de cette scène que, finalement, il décrit un tableau et que la substitution du tableau à la scène s’est opérée parce qu’on ne perçoit jamais ce que l’on a déjà perçu.

Une autre idée aussi est que le texte s’interroge sur le rapport entre ce que l’on perçoit et ce que l’on est capable de comprendre ou de connaître. Il y a des choses qu’on ne voit qu’après avoir compris. La perception est entravée par de multiples obstacles, de multiples empêchements qui rendent la connaissance du réel, au sens où elle serait juste, exhaustive, absolument impossible.

Il n’y a jamais que des hypothèses sur le réel, sur la perception du réel (enseignement très important de la Recherche). L’effort néanmoins vers l’intelligence demeure.

L’impression sensorielle convoque le corps, la recréation par la mémoire d’impressions qu’il faut ensuite éclairer, approfondir, transformer en équivalent d’intelligence. On a  tout le trajet proustien. L’impression qui ne m’est révélée que parce qu’elle est déjà mémorielle et que l’intelligence doit ensuite approfondir et éclairer.

On ne part pas de l’intelligence, on part du corps et ensuite l’intelligence s’empare de ce que le corps lui a révélé.
Anonymous

Invité

Invité


Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Message n° 11

Proust et l’aventure intérieure  EmptyRe: Proust et l’aventure intérieure

Message par Contenu sponsorisé...



Contenu sponsorisé



Proust et l’aventure intérieure  Empty

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum