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UNE JUSTICE AMERICAINE SOUS INFLUENCE

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UNE JUSTICE AMERICAINE SOUS INFLUENCE EmptyUNE JUSTICE AMERICAINE SOUS INFLUENCE

Message par Invité...Lun 7 Oct 2019 - 7:58


J'ai trouvé intéressant cet article, je vous le propose.

Dans nombre de pays, Jeffrey Epstein se serait retrouvé derrière les barreaux dès 2007, quand son implication dans un système de trafic de mineures fut mise au jour. Pas aux États-Unis. D’arrangements en connivences, l’homme d’affaires new-yorkais n’a alors écopé que d’une peine dérisoire. Son cas révèle les failles d’une justice pénale américaine souvent encline à la clémence envers les puissants.

[size=115]L[size=92]’écrivain Gore Vidal disait du romancier new-yorkais Louis Auchincloss qu’il était « le seul à raconter comment les princes qui nous gouvernent se comportent dans leurs banques et leurs salles du conseil, leurs cabinets d’avocats et leurs clubs ». C’est peut-être une des fonctions du roman, et non des moindres, que de mettre à nu un grotesque que l’on ne supporterait pas autrement. Mais qui ignore que les puissants possèdent leurs propres codes et coutumes, et que le pouvoir comme la justice se montrent plus sévères avec certains qu’avec d’autres ? À cet égard, l’affaire Jeffrey Epstein, ce multimillionnaire accusé de trafic de mineures et qui s’est suicidé dans sa cellule le 10 août 2019, constitue davantage qu’un scandale sexuel : c’est un cas d’école qui révèle les failles béantes de la justice pénale américaine.[/size]
Figure en vue du gratin de Floride — M. Donald Trump a déclaré qu’il le connaissait « comme tout le monde à Palm Beach » —, Epstein a fait fortune en gérant les actifs de milliardaires. Que ce soit dans sa résidence de New York, réputée l’une des plus grandes de la métropole, ou ses villas de Palm Beach, Santa Fe et des îles Vierges américaines, il s’affichait aux côtés de vedettes du show-business (les acteurs Kevin Spacey et Chris Tucker, la publicitaire Peggy Siegal…), de journalistes de télévision (Charlie Rose, Barbara Walters, Mike Wallace…), mais aussi d’hommes de pouvoir de tous bords, comme l’ancien président William Clinton, qui l’aurait accompagné dans de nombreux voyages, le prince Andrew d’York ou encore l’ex-premier ministre israélien Ehoud Barak — sans oublier, bien sûr, une vedette de la télé-réalité qui allait bientôt atterrir à la Maison Blanche.
Tous se disaient fascinés par l’intelligence hors norme de cet homme parti de rien, parvenu à se hisser au sommet sans un seul diplôme en poche. Aimant à se définir comme un intellectuel, Epstein versait de généreuses donations à l’université Harvard et à d’autres institutions. Ami de M. Lawrence Summers — ancien secrétaire au Trésor de M. Clinton devenu président de Harvard, puis conseiller économique de M. Barack Obama —, ainsi que de plusieurs Prix Nobel et du professeur de droit Alan Dershowitz (1), Epstein a également financé plusieurs programmes de recherche, si bien qu’on pouvait dire de lui qu’il « collectionnait » les scientifiques.

Un accord secret avec les procureurs

Sa prédilection pour les jeunes filles était connue dès le début des années 2000 : à l’époque, la presse à sensation surnommait déjà son avion privé le « Lolita Express ». En 2002, M. Trump confia à un journaliste : « Je connais Jeff depuis quinze ans. C’est un mec génial. On s’amuse beaucoup avec lui. On dit qu’il aime les belles femmes autant que moi, et beaucoup entrent plutôt dans la catégorie “jeunes”. Il n’y a pas de doute, il aime sa vie sociale. »
Cinq ans plus tard, Epstein fut accusé d’avoir mis sur pied un système très élaboré de trafic de mineures, pour la plupart issues de milieux sociaux défavorisés. Alors qu’il encourait la prison à perpétuité, l’homme d’affaires scella un accord secret avec les procureurs fédéraux de Floride. Il s’agissait d’un accord de non-poursuite (non-prosecution agreement) lui permettant de faire face à des chefs d’accusation allégés — une démarche parfaitement légale. En 2008, Epstein plaida donc coupable pour racolage de mineures (moins grave que le trafic de mineures) et négocia une peine de prison de dix-huit mois, ainsi que l’immunité judiciaire pour ses complices. Il purgea sa peine dans des conditions particulièrement favorables, obtenant notamment le droit de se rendre à son bureau six jours par semaine. Aucune de ses nombreuses victimes ne fut informée de l’accord passé avec les procureurs, alors même qu’une loi l’impose.
Dans un État comme la Floride, réputé pour sa sévérité en matière de crimes sexuels, la mansuétude dont a bénéficié Epstein peut étonner. Pour la comprendre, il faut se pencher sur une particularité de la justice pénale américaine : le rôle prépondérant du procureur. En théorie, dans ce système où le taux d’incarcération est l’un des plus élevés du monde (700 prisonniers pour 100 000 habitants), la procédure pénale est bâtie sur une confrontation entre les pouvoirs publics, représentés par un procureur, et l’accusé, représenté par un avocat. Au cours du procès, le juge se prononce sur les questions de droit, et le jury sur les questions de fait. Cependant, l’un et l’autre se bornent aux faits et aux arguments de droit mis en avant par les deux parties. Autrement dit, le juge n’a généralement pas de pouvoir indépendant d’investigation : c’est aux parties de lui présenter les éléments qu’il pourra prendre en considération.
La symétrie entre procureur et avocat est surtout théorique. Dans la pratique, c’est le procureur qui définit les chefs d’accusation et qui a toutes les cartes en main. Il dispose des énormes moyens de l’État et contrôle le déroulement du processus grâce à son pouvoir discrétionnaire (prosecutorial discretion). Confronté à des faits similaires, il peut choisir des chefs d’accusation différents, donnant lieu à des peines plus ou moins lourdes. Il peut également décider de ne pas poursuivre un accusé quand il en va de l’intérêt général. L’avocat de l’accusé, lui, est bien souvent un commis d’office débordé qui n’a pu passer que quelques minutes en tête à tête avec son client avant de se retrouver face au procureur pour entamer les négociations. Il n’existe pas de données au niveau fédéral, mais des éléments révélés par un juge dans deux comtés de l’État de Washington ont montré que les avocats commis d’office travaillaient en moyenne moins d’une heure sur chaque cas (2). On sait par ailleurs qu’environ 80 % des personnes inculpées pour des crimes passibles d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an vivent dans la pauvreté.
C’est cette logique de confrontation qui justifie le fameux principe de négociation de peine (plea bargaining) (3) : si l’accusé promet de plaider coupable d’un chef d’accusation donné (donc de ne pas recourir à son droit au procès) et de collaborer avec le procureur (en témoignant lors d’un autre procès, par exemple), ce dernier peut s’engager à alléger sa peine. Même s’ils en ont le pouvoir, il est très rare que les juges s’opposent à ce type d’arrangement, qui offre l’avantage d’éviter un procès — et les coûts afférents. De son côté, l’accusé aussi peut refuser les termes de l’accord proposé par le procureur, mais il risque alors de passer devant un tribunal et, bien souvent, d’écoper d’une peine plus lourde. C’est le prix du droit au procès, ou trial penalty (4).
Pour les accusés, le choix n’en est donc pas vraiment un, et l’écrasante majorité des condamnations (plus de 95 %) résultent d’un accord de plaider-coupable (5). Pour le juge à la Cour suprême Anthony Kennedy, « le transfert du pouvoir discrétionnaire en matière de peine d’un juge à un procureur souvent à peine plus âgé que l’accusé est une erreur. (…) Il accorde un pouvoir de décision au procureur sans que celui-ci ait été formé pour cela et retire ce même pouvoir au juge, l’acteur du système qui peut le mieux l’exercer de façon ouverte, transparente et raisonnable (6) ».
De fait, les prérogatives exorbitantes des procureurs donnent lieu à des pratiques qui choquent souvent les observateurs étrangers : conférences de presse incendiaires, surenchère dans la rigueur avant les élections à ce poste, concours sordides, comme dans le Tennessee, où le procureur le plus sévère remporte le « prix du Marteau »… Sans parler des humiliations subies par les accusés, systématiquement photographiés lors de leur arrestation. Ces images, considérées par la police et les procureurs comme étant d’intérêt public, peuvent être utilisées par des tiers et publiées en ligne, au mépris de la présomption d’innocence. Dans de nombreux États, les sites Internet concernés sont autorisés à réclamer de l’argent à l’accusé qui souhaiterait voir retirer sa photo.
Enfin, pour les procureurs les plus en vue, de lucratives carrières au sein de prestigieux cabinets d’avocats peuvent se profiler. Ce pantouflage, très répandu, est largement accepté, et les clients sont prêts à payer le prix fort pour s’adjoindre les services d’un conseil maîtrisant tous les arcanes du système. Si les règles de déontologie interdisent à ces avocats reconvertis de travailler sur des cas qu’ils ont suivis en tant que procureurs, rien ne les empêche de s’impliquer dans d’autres affaires, quitte à se retrouver face à leurs anciens collègues — lesquels, parfois, leur doivent leur carrière (7). Le pantouflage fonctionne d’ailleurs dans les deux sens : nombre de procureurs fédéraux ont commencé dans l’un de ces grands cabinets d’avocats.
Cette toile de fond éclaire les dessous du cas Epstein. En 2007, l’homme d’affaires est confronté à de graves accusations. Le procureur qui instruit le dossier se nomme Alexander Acosta. C’est un ancien haut fonctionnaire, nommé à ce poste par le président républicain George W. Bush. Epstein embauche dans son équipe d’avocats M. Kenneth Starr, qui, lorsqu’il était procureur, avait mené l’enquête contre M. Clinton lors de l’affaire Monica Lewinsky. Il s’entoure également de M. Dershowitz et d’autres ténors du barreau. Plusieurs d’entre eux, dont M. Starr, sont passés par le cabinet Kirkland & Ellis, qui compte parmi ses anciens collaborateurs… M. Acosta. Cela ne peut guère nuire.

Copinages, collusions et petits arrangements

Afin de justifier le traitement avantageux dont a bénéficié Epstein, M. Acosta a invoqué la pression insupportable que les avocats de l’accusé ont fait peser sur son équipe. Ces derniers auraient même embauché des détectives privés pour enquêter sur les mœurs des procureurs afin de ternir leur réputation — une pratique dont on mesure toute l’ironie.
Comme le révèle, dix ans après les faits, un article du Miami Herald (8), les procureurs ont été dépassés (et impressionnés) par le pouvoir d’Epstein. Les courriels exhumés par la journaliste témoignent de l’immense déférence dont ils faisaient preuve à l’égard des avocats de la défense — tout le contraire de ce que vivent la majorité des inculpés, affrontant des procureurs intransigeants et acharnés. Si les avocats d’Epstein se sont montrés agressifs, rien ne semble toutefois suggérer qu’ils aient agi illégalement. Quand paraît l’article, M. Acosta est devenu ministre du travail de M. Trump, chargé, entre autres responsabilités, de la répression du trafic sexuel… Après avoir résisté pendant quelques mois, il cède à la pression publique et finit par démissionner, en juillet 2019, peu après l’ouverture par le ministère de la justice d’une enquête sur les conditions d’octroi de l’accord.
Le fonctionnement pour le moins problématique de la justice américaine, avec ses copinages, ses collusions et ses petits arrangements, a suscité des velléités de réforme. M. Obama et son ministre Eric Holder s’y sont essayés, sans grand succès. Puis ce fut au tour de M. Trump, mais cette initiative n’a débouché que sur de timides mesures se bornant à alléger certaines peines, principalement dans un souci d’économie budgétaire, sans s’attaquer aux problèmes de fond. Derrière ces tentatives avortées transparaît malgré tout une prise de conscience. Il fut un temps où se targuer d’une carrière de procureur constituait un atout électoral indéniable. Apparemment, ce n’est plus forcément le cas. Le 31 juillet dernier, lors d’un débat en vue des primaires démocrates pour l’élection présidentielle de 2020, la candidate Kamala Harris a dû se défendre d’avoir fait preuve d’une sévérité excessive lorsqu’elle occupait ce poste en Californie.[/size]

Francis Pryer
Avocat.
Anonymous

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